On peut ne pas partager les idéaux des Femens et la façon de les faire connaître mais être touché voire bouleversé par le récit de Pauline Hillier, celui d’une incarcération de courte durée certes, mais qui a durablement retenti sur la vie de l’auteure.

Le résumé
2013, Tunis. Arrêtée à la suite d’une manifestation, Pauline, jeune française, est arrêtée et conduite à La Manouba, la prison pour femmes. Entre ces murs, c’est un autre temps, un nouvel ordre du monde, des règles qui lui sont révélées dans une langue qu’elle comprend à peine. Au sein du Pavillon D, dans une cellule qu’elle partage avec vingt-huit femmes, elle n’a pu garder avec elle qu’un livre, Les Contemplations de Victor Hugo. Des poèmes pour se raccrocher à quelque chose. Mais bientôt, dans les marges de ce livre, Pauline va commencer à inscrire une autre histoire. Celle des tueuses, des voleuses, des victimes d’erreurs judiciaires qui lui racontent au fil des jours leur vérité. Celle de ces femmes qui partagent son quotidien, lui offrent leurs regards, leurs sourires et lui apprennent à rester forte et digne quoi qu’il arrive.
Vibrant d’humanité, Les Contemplées, roman autobiographique enflammé nous livre l’incroyable portrait d’un groupe de femmes unies face à l’injustice des hommes.
Ce que j’en dis …
Cette cohabitation forcée dans le milieu carcéral d’une prison de Tunis, pour une jeune femme occidentale, libre et pétrie de convictions, constitue une belle leçon d’humanité où transparaîssent, à chaque confidence, les drames, les soupçons ou les écarts qui ont conduit ces femmes en prison.
Me restera longtemps en mémoire l’histoire tragique de la « Cabrane« , qui fait écho au procès retentissant de Jacqueline Sauvage mais aussi au téléfilm « L’emprise » brillamment interprété par Odile Vuillemin. Cette femme qui, successivement subira les violences d’un père puis de ses frères et enfin de son mari qui, bien évidemment, la rend responsable de ne pas lui avoir donné de fils, ce qui lui vaut, à chaque naissance, d’être sévèrement punie ! Et pourtant, sachez messieurs les géniteurs, que c’est le petit chromosome y, véhiculé par vos spermatozoïdes qui détermine le sexe masculin et ni vous ni vos épouses, ne pouvez le favoriser d’aucune manière…
A propos de ses trois petites filles, elle « voulait pour elles l’enfance heureuse et douce qu’elle n’avait jamais eue » et voilà que tout bascule : « elle s’était retournée juste à temps pour voir sa petite Amina, alors âgée de 7 ans, vaciller…terrassée par la paume de son père…la digue avait craquée » !
Là me reviennent à l’esprit ces paroles consignées dans le livre biblique de l’Ecclésiaste qui disent en substance que l’oppression peut faire qu’un sage se comporte en fou.
En France, contrairement à ce que l’on entend souvent, près de la moitié seulement des victimes qui s’inscrivent dans ce que l’OMS, a qualifié en 2012 de « cadres de violences systémiques dans une logique de domination masculine », ont déposé plainte. Il reste du chemin à faire…
Et que dire du sort de cette jeune fille de 15 ans prénommée Warda, qui, comme beaucoup malheureusement, a subi la double peine d’être violée et pas crue, ni de la police ni de son père et se trouve finalement accusée du meurtre de son agresseur. Son désespoir et ses larmes vont mettre à mal l’équilibre précaire de ce microcosme au point que, nous dit Pauline, « C’est terrible à dire mais je perçois le soulagement que provoque son transfert dans une autre prison « …
Et comment ne pas s’émouvoir devant tant d’abnégation et de douceur quand, fiévreuse au point de perdre connaissance, Pauline se voit confier toute une nuit et le lendemain aux soins de la vieille Boutheina, ce qui lui fait écrire : » Je comprends que c’est elle, sa magie, son savoir-faire, sa tendresse qui m’ont délivrée des flammes de la fièvre« .
Va savoir pourquoi ? Peut-être c’est l’évocation du lieu qui a fait remonter en moi le souvenir d’une interview de ce grand penseur qu’était Théodore Monod, alors âgé de plus de 90 ans. Fort de son expérience, ce chercheur d’absolu comme il se qualifiait lui même, posa un regard attristé sur notre époque encore au stade de la barbarie puisque, selon ses propos, nous ne sommes toujours pas capables d’appliquer ces versets gravés sur le bâtiment de l’ONU à New York et tirés du livre du prophète Esaïe, qui évoquent un temps où les humains forgeront les épées en socs et les lances en serpes et n’apprendront plus la guerre.
Dans ce récit « Les Contemplées » que l’auteure a fait le choix de publier cinq ans après les événements, j’ai été profondément touchée par cette phrase p. 177 où elle rappelle que le temps est venu de tenir la promesse faite, celle de « faire exister le temps de quelques pages, ces femmes que plus personne ne voulait voir, sauf moi. Et de les rendre ainsi indélébiles« .
Les Contemplées, de Pauline Hillier est publié par La Manufacture de livres.
Le livre broché de 204 pages est vendu 18, 90 €.
Paru le 9 février 2023.