Madjik ou l’incertitude, de Julien Cabocel

La couverture m’a tout de suite évoqué Mourad, ce camarade de classe de mes enfants, dont la famille habitait avec nous dans le même immeuble, qui était devenu livreur à vélo et avait achevé dans le cadre de cet étrange travail la courte course de son existence.

C’est en pensant à lui, à ce drame, que j’ai sollicité Madjik ou l’incertitude de Julien Cabocel sur NetGalley.

Le résumé

Livreurs à vélo, Diesel, Madjik et Lo sillonnent la ville à un rythme effréné, prêts à tout risquer pour quelques points sur l’appli, quelques courses supplémentaires, quelques euros gagnés. L’un a failli devenir cycliste professionnel, l’autre est un étudiant en rupture de ban, le troisième a le flow dans le sang … Trois surnoms, trois copains qui tentent de conjurer leur précarité en jouant chaque jour un peu plus avec la vitesse, tandis que se tisse entre eux une amitié improbable et profonde.

Leurs courses inlassables dessinent un étrange ballet urbain où d’autres personnages évoluent selon leur propre urgence. Kristell, quadragénaire empêtrée entre ses sentiments amoureux et l’ombre pesante de son père descend d’avion et passe commande sur l’appli avant de sauter dans un taxi pour rejoindre la ville. A l’aéroport, son chemin croise celui d’un autre éclopé, Bassem, homme de ménage écrasé par la désolation laissée au pays. Lui attrape le RER où un individu inquiétant le ramène aux souvenirs qui le hantent.

Tous tournent, tournent et tournent à travers la ville. Si différents soient-ils, tous sont fragiles, partagent une profonde incertitude sur eux-mêmes et sur le monde comme il va. Tous étouffent et aspirent à se libérer. La mécanique de la cité toujours plus folle va-t-elle les rapprocher ou les broyer ?

Une ronde urbaine pleine d’humanité qui nous entraîne dans un vertige étourdissant.

Ce que j’en dis …

Dans un premier temps j’ai eu un peu de mal à rentrer dans l’histoire : le style ne me convenait pas vraiment, je ne le trouvais pas aussi urbain que ce à quoi je m’étais attendu.

Mais après tout Paris laisse la place à une grande variété d’urbanités et je n’ai pas laissé mes préjugés entraver ma lecture. Bien m’en a pris car je me suis finalement fait happer dans le récit et la valse saccadée de ses personnages bien campés.

Les livreurs à vélo laissent beaucoup de place à Kristel et Bassem. Une quadra stressée liée par les obligations morales à un père malade et un réfugié syrien habité par les fantômes d’Alep qui ne lui laissent aucun répit. Entre les deux, un tube de rouge à lèvres oublié dans les toilettes pour femmes de l’aéroport.

Malgré une fin attendue, pour ne pas dire téléphonée (mais ce n’est pas grave) j’ai beaucoup apprécié ce roman qui montre différents visages de la précarité.

Des réfugiés qui ne trouvent le calme nulle part tellement le passé les absorbe où qu’ils soient. La classe moyenne empêtrée dans toutes sortes d’obligations familiales ou professionnelles. Et les otages de la société de service, corolaire de la société de consommation : hommes et femmes de ménage, livreurs, chauffeurs et autres esclaves modernes dont les maîtres sont des algorithmes et par procuration d’autres travailleurs précaires qui alimentent le système qui les exploite pernicieusement.

Et puis il y a Madjik, qui comme Mourad va mettre le coup de pédale qui va propulser sa vie en roue libre.

Le propos est moderne et ce style qui ne me semblait pas assez urbain au premier abord est finalement celui qui convient pour donner au lecteur le détachement nécessaire pour prendre plaisir à ce roman polyphonique qui sous une autre plume aurait donné lieu à un manifeste social plus revendicatif et moins littéraire.

Madjik ou l’incertitude, de Julien Cabocel est édité par Grasset.
Le livre broché de 180 pages est vendu 18 €.
Date de parution prévue : le 18 janvier 2023.

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