Le Grand Soir de Gwenaël Bulteau

Il est six heures du matin. Attablé devant un café contado, face à la Mer des Caraïbes, je rédige au stylo mon avis à propos du Grand Soir de Gwenaël Bulteau.

À mon poignet, sous le tatouage représentant un A cerclé, un bracelet orange au logo de l’hôtel cinq étoiles où je loge m’offre toutes les facilités pendant deux semaines et je viens de me régaler d’un roman qui traite du Paris des années 1900, dans l’ombre de la commune et de Louise Michel.

Traitrise intellectuelle ?

Il n’en est rien. C’est simplement que, comme le montre si bien Le Grand Soir, l’humain est complexe dans la foule de contradictions qui l’anime.

Le Grand Soir, de Gwenael Bulteau

Le résumé

22 janvier 1905. Paris se presse à la suite du cortège funéraire de Louise Michel, icône légendaire de la Commune. Parmi les ouvriers, la jeune Jeanne Desroselles, travestie en femme du peuple, se mêle à la foule. Idéaliste et militante, cette jeune héritière fréquente depuis quelques mois les rassemblements publics, vibrant des revendications de ceux qui luttent pour la justice et la liberté. Mais ce matin d’hiver sera pour Jeanne le dernier. Aux yeux de la police comme de sa famille, Jeanne s’est volatilisée. Sa cousine Lucie n’entend pas se satisfaire de cette conclusion, et elle se glisse de tavernes en ruelles pour retrouver la trace de la disparue. Pendant ce temps, aux quatre coins de la France, les manifestations se multiplient, les femmes se rassemblent pour faire entendre leur droit à la parole et à disposer de leur corps, les mineurs et les ouvriers réclament un travail qui ne les condamne pas à mort… Tous s’apprêtent à venir massivement à Paris, manifester ensemble le 1er mai. Ce sera le Grand Soir.

Après La république des faibles, lauréat de plusieurs prix littéraires, Gwenaël Bulteau nous entraîne aux côtés de Lucie, dans une Belle Époque vibrant au son des cris de révolte.

Ce que j’en dis …

Après la lecture de L’enfer pour aube, bande dessinée parue il y a quelques mois et traitant de la même Belle Époque, je me réjouissais de pouvoir me replonger dans le Paris des Apaches et de la révolte.

Ici, l’ambiance est davantage nourrie par le fait que l’auteur, en plus de nous immerger dans la France ouvrière et contestataire, nous fait aussi découvrir le milieu bourgeois de l’époque. Dans l’Histoire les deux classes s’affrontent, mais dans le roman elles sont en proie à une sorte de passion amoureuse complexe où l’attirance et le dégoût vont de pair.

La condition ouvrière et la condition féminine du Paris des années 1900 y sont décrites avec une justesse qui montre à quel point ces problématiques sociétales sont davantage liées à des faiblesses humaines qu’à des institutions politiques.

En effet, les protagonistes de ce roman peinent à atteindre leurs idéaux parce qu’ils ont du mal à être totalement en phase avec les grandes idées de leur temps.

Et si un siècle plus tard la situation a sensiblement évolué, ce n’est une avancée que dans le détail mais guère dans les esprits car la nature profonde de l’Homme (et de la Femme) demeure inchangée.

Lorsqu’on est en proie à ses propres doutes et à ses faiblesses, où trouvera-t-on la détermination nécessaire pour changer le monde ?

J’en rajoute sans doute un peu à la pensée de Gwenaël Bulteau mais qu’il me pardonne car il m’inspire : il me semble que les luttes sociales nous épuisent grandement sans rien nous apporter sur le long terme ou si peu. Les journées de travail de plus de huit heures n’ont pas disparu, le patriarcat non plus.

Ainsi, plutôt que de lutter les uns contre les autres, ne serait-il pas plus heureux d’apprendre à nous entendre ?

Le Grand Soir reste à venir. Mais lorsqu’il viendra enfin, de qui brisera-t-il vraiment les rêves ?

Le Grand Soir, de Gwenaël Bulteau est édité par La Manufacture de livres.
Le livre broché de 385 pages est vendu 20,90€.

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